Reine Paulet
"Artiste, Femme, Mère"
(Alger 1906, Paris 1999).
Un important CD récemment publié, présente Reine
Paulet parmi
"Les Grandes Dames de la Chanson Française".
Hommage posthume bien
mérité!
Personnage d'une époque
révolue, célèbre à Paris des années
1930 à 1945,
ensuite balayée par "
le vent de l'Histoire "...
Elle m ' avait un jour,
simplement demandé:
-" Ecris sur moi! Je
te donne le titre:" Artiste,
Femme, Mère".
Ce projet ne me tentait
pas alors. Reine Paulet m'hébergeait chez elle,
11 rue des Dardanelles,
Paris, 8ème arrondissement.
J ' y demeurai cinq mois, de Juin à novembre 1945, avant de
rejoindre Alger et ma famille.
60 ans plus tard, à l'âge des bilans, je tiens à
témoigner (note 1).
Note 1
Avec la coopération
affectueuse de ma cousine germaine,
elle aussi sa nièce,
Andrée Perret-Betolaud, et
de ma fille Colette Maréchal-Tavanti.
Reine Paulet naquit à Alger (note 1), le 6 décembre 1906, du
deuxième mariage de sa mère
avec Joachim Cavieux.
D ' une première union , suivie d'un veuvage, avec Lucien
Paulet, quatre enfants, trois filles
et un garçon, ne furent
pas toujours très tendres avec leur
benjamine, demie soeur, qui porta
leur nom. (note 2).
Au lycée d'Alger, elle faisait l'admiration du professeur de
gymnastique, Madame André, et,
dans une école de danse classique réputée de la ville, celle de la
directrice de l ' établissement,
Miss Mac Kaye. Toutes deux
prévoyaient pour elle une éblouissante carrière mais dans la capitale
de la France hexagonale.
A l'âge de 22 ans, Reine réussit à persuader mère, famille,
et amis, de l ' aider moralement
et financièrement à partir
pour Paris et s'y installer.
Elle était ma marraine, et de ce fait, se devait d'être
aussi une "marraine-fée",
comme dans les
célèbres contes pour
enfants. Lors de ses brefs séjours à Alger chez sa mère, elle se plaisait à
provoquer l ' émerveillement
de mes sept ans en faisant surgir de l'invisible divers objets. Collier de
perles,
petite poupée, robe de
princesse, allaient s'engloutir dans le
rouge fourreau de filali d'un poignard oriental...
Fascinée je l'admirais.
Ses beaux yeux vert
émeraude, sa minceur, obtenue par une volonté obstinée, son "défi à la
pesanteur"
lorsque séductrice, elle dansait, classique ou moderne.
Et, plus tard, son
"tour de chant" qui fit les plus belles soirées de " l' ABC
" et des plus élégants night-clubs
de Paris . A Radio France
elle était régulièrement invitée
en "vedette du jour".Ainsi,le samedi 26 février 1941, à 12h50,
avec l ' orchestre de Jo Bouillon (qui fut le mari de Joséphine Baker).
Note 1:
Alger fut la capitale de
l'Algérie,( française de 1830 à 1962, avec trois départements:
Alger, Constantine, Oran).
Note 2:
Sa mère, Marie Paulet, avait
prié l'Administration de l ' école
élémentaire, puis du lycée, de nommer
la petite fille comme ses
soeurs afin d'éviter des différences pénibles pour l'enfant.
Coupure de presse rappelant que le samedi 26 fevrier la vedette
du jour a 12h5o etait Reine Paulet.
Reine avait épousé Albert Tavel, influent
impresario, qui croyait,
à juste titre, à son
immense talent.
Avec lui sa carrière
promettait d'atteindre les sommets
prédits par ses professeurs.
Elle avait imaginé un
"One lady show", un "Tour du monde en
chansons".
Sa réussite financière lui
permettait d'arborer des tenues de
scène somptueuses et d' obtenir
des cachets des plus en
plus importants.
Un milliardaire
belge, F.M. fasciné, la combla
de cadeaux, de joyaux de
plus en plus fastueux, signés par les plus grands orfèvres parisiens.
Grisée par le succès et l '
argent, elle divorça. Ce fut, selon ses propos,
"la plus grande
bêtise de sa vie". Elle ne voulut jamais se remarier.
Elle avait commencé une carrière
au cinéma dans les années 30. Ainsi:
1935:
-
"Bourrasque" (="Moghreb" ) Directeur Pierre
Billon.
- " La Bandera" (=" Escape from yesterday") . Directeur Julien Duvivier.
Elle y tient le rôle de "Rosita".
1937:
- "La griffe du
hasard". Directeur René Pujol.
- "Pépé
Le Moko"
Parmi ses nombreuses chansons: -"Moi, je n'aime pas travailler".
« La biguine a Bango », etc
et diverses chansons de
Charles Trénet lors du début de ce
compositeur,
parmi lesquelles: -"J'
ai ta main dans ma main" etc...
.
MITSOU:
Ses amis et ses proches la nommaient
"Mitsou". Elle assurait que l ' origine
du surnom était extrême
orientale et signifiait un superlatif de beauté, bonté, élégance.
Etant "Mitsou",
elle se devait d'interpréter nombre de chansons inspirées par Chine ou Japon.
Elle étudia les cultures
sino-japonaises. (cf. note 1)
Nôtre" Mitsou se
plaisait à utiliser son puissant imaginaire. Il nourrissait positivement
son remarquable talent de
chanteuse en son "One lady show"...
Plus tard, il devint son
refuge après les terribles évènements de la guerre 1939-1945.
Les calomnies dont elle fut l'objet, à la Libération, les contrôles fiscaux nés de
"l'épuration",
le triomphe des jalousies,
et, auparavant, la dénonciation qui la fit arrêter par la Gestapo, et
expérimenter torture et prison modifièrent son comportement.
Note 1
Mistinguet interprétait la chanson "Mitsou"
dans les années 1925.
"Mitsou" y était la
plus belle,
la plus aimable et la
plus amusante à la fois...
Parce qu'il lui arrivait, parfois, de "broder" sur certains
faits, aisément
retrouvés dans leur
vérité, ses deux filles, Christine et Catherine, qui furent les vrais deux
grands amours de sa vie, ne
la croyaient plus qu'à demi , et même
plus du tout.
C' est pourquoi je veux témoigner!
Un fait mérite d' être rapporté:
Après la Libération,
malgré de féroces adversités, Reine Paulet tenta de réagir.
Elle croyait , à cette
époque, qu'il fallait absolument "paraître". Elle décida de vendre sa
belle maison de campagne à Saint Leu La Forêt (note 1) afin d' acquérir un
somptueux manteau de vison sauvage.
Auparavant, en été
1945,sur la pelouse du jardin de cette résidence, un dimanche après midi,
parmi les invités, je rencontrai deux femmes d'exception. Survivantes
de la déportation dans
un camp de la mort pour
femmes, en Allemagne du Nord, elles me racontèrent leur première vision
de Reine Paulet, à Paris, dans leur cellule de Fresnes, par une
nuit d'hiver, sous l' occupation. (note 2)
La chanteuse était
arrivée, enveloppée dans un ample manteau de fourrure enfilé à la hâte sur sa
chemise de nuit. (note 3)
Un officier nazi l 'avait
interrogée devant elles. Insultée peut-être. Elle avait réagi en le giflant à toute
volée. Quelques moments plus tard deux hommes étaient venus la chercher sans
ménagement.
Elle disparut pendant deux
heures, pour revenir, trempée jusqu'aux os, dans sa seule chemise, claquant des
dents, frissonnant. Elle avait subi la torture du bain glacé.
Les trois femmes la frictionnèrent , la réconfortèrent.
Reine Paulet avait été
accusée d'être juive. Sur la foi d'une simple lettre anonyme.
Elle put se défendre,
grâce à son compagnon qui remua ciel et terre pour la libérer. Il distribua de
fortes récompenses. Il mena son enquête
généalogique en Algérie , alors française, d' où Reine était originaire.
il put prouver son appartenance à une famille de pionniers,
traditionnellement et très anciennement
catholique .
Sur le bureau de l '
officier instructeur, avant d'être libérée, Reine put consulter la lettre
dénonciatrice.
Elle provenait d'une petite actrice jalouse.
Note 1
Maison achetée aux
fantaisistes Charpini et Brancato bien oubliés aujourd'hui aussi.
Note 2
Elles étaient trois. L' une
d'elles devait périr en déportation
Note 3
La gouvernante me raconta
les coups à la porte à 2 heures du matin. Les deux hommes de la Gestapo qui
sommèrent brutalement Reine Paulet de les suivre.
Après la Libération elle
dut renoncer à ce métier qu'elle adorait.
Ne voulant pour rien au monde quitter son cher
Paris, elle se réfugia dans son
appartement du 43 avenue Foch.
Elle avait perdu tous ses
biens et ses précieux bijoux.
Elle vécut d'une petite rente,
servie par une assurance autrefois souscrite, et de l ' aide
de ses filles.
A 85 ans cependant
elle pouvait encore se dorer au soleil
en maillot deux pièces sur
les plages de la Côte d' Azur où elle était invitée par sa famille.
Pour conserver la
ligne, elle déjeunait "léger". Pour tout dîner,
dans son lit, devant sa télé, elle dégusta, au long des décades un
petit verre de Scotch.
Soignée avec beaucoup de coeur par
les religieuses diaconnesses
De l ' hôpital de Versailles,
elle leur demandait souvent de lui faire entendre les disques de sa "belle
époque".
Un cancer du pancreas l ' emporta
à l'âge de 93 ans .
Denise Boulet-Dunn
Janvier 2007.
http://denisevb.free.fr
dbouletdunn@yahoo.fr