Les martyrs de Philippeville (Skikda)

Au départ de : Altkirch, Ruederbach, Bettendorf, (Haut-Rhin).

Vers 1855, la petite Marie-Anne GOENNER est âgée de 7 ans. Elle parle le dialecte alsacien, comme tous ceux qui l’entourent.
Bernard, son père et Marie Magdeleine, sa mère, familles de cultivateurs et de vignerons, ont quitté leurs villages respectifs de Ruederbach et Bettendorf pour s’installer non loin de là, à Altkirch, où ils ont fondé un restaurant.

Tous deux sont travailleurs et ambitieux. L’enfance de Marie Magdeleine a été bercée par les souvenirs de sa mère, Marie Thérèse ZIEGLER qui racontait l’existence d’autrefois, à Husseren-les- Châteaux et à Pfaffenheim, lorsque la famille était dans l 'aisance. Les trois mariages de son père, ses trois veuvages, le partage des terres lors de chaque succession , mais aussi la révolution et les guerres avaient ruiné la famille. ( Une arrière grand mère de Pfaffenheim, appartenait à la branche rurale de la famille DOLFUS qui, depuis, s 'était illustrée dans le textile en association avec les MIEG , sous le sigle DMC ).

Contre le gré de son père Marie Thérèse avait épousé un homme beaucoup plus jeune qu’elle, et sans terres ! Avec lui tout semblait cependant possible! L 'avenir souriait ! Avec lui elle avait quitté Pfaffenheim , ses vignobles soignés, ses jolies maisons pour Bettendorf, dans le « Sundgau ». Elle s 'était attachée à sa nouvelle et belle région . Mais la nostalgie de l 'enfance revenait souvent et, vieillissante, elle radotait sur de vieilles images sans cesse surgies de son cœur.

Sa fille, Marie Magdeleine, voulait retrouver les fastes d’autrefois ! Pour cela, elle était prête à tout ! Au mariage de son frère à Ruederbach, elle avait rencontré Bernard GOENNER, dont la famille, venue du Frickthal (Suisse), s 'était implantée dans le village après la guerre de Trente Ans et s 'était unie aux familles du pays, les MUNCH , autrefois à Knoeringue et les MÜNCK.

Les jeunes gens avaient fondé une famille, et préféré s 'installer à Altkirch où ils avaient créé un restaurant apprécié. Là , des clients, colporteurs, avaient parlé d 'un véritable eldorado que depuis 1839 on appelait "Algérie": la nouvelle colonie française, de l’autre côté de la mer. Contre un peu d’argent il était, selon eux, possible d’obtenir là-bas logement, vastes terres, et matériel sous un soleil toujours généreux., dans un pays accueillant..
La décision fut vite prise ! Il n’y avait pas de temps à perdre, les époux avaient respectivement déjà dépassé la cinquantaine !

Le restaurant vendu, les futurs colons partent dans l’enthousiasme avec les trois enfants survivants des huit qu’ils avaient mis au monde à Ruederbach : l’aînée, Anne Marie, née en 1830, Fortuné, et Marie- Anne, la plus jeune, née en 1848.
Marie Anne, durant toute sa vie se souviendra de ses sept premières années heureuses, en Alsace et de ce Altkirch si beau sous la neige avec ses toits inoubliables et les cigognes...
La terrible vie des pionniers.
Il leur avait été raconté combien la chaleur , en Afrique, était intense ! Aussi n’avaient ils emporté qu’une seule couette ! Ils furent bien désagréablement étonnés par les nuits glaciales qui les attendaient après un voyage harassant. Sur les canaux d ' abord, puis, à partir de Marseille le bateau et le mal de mer. Misérablement logés , dotés contre leur pécule de terres rares et ingrates, ils connaîtront l’insécurité, le fusil sous l’oreiller, les inondations l’hiver, la sécheresse l’été, et, régulièrement , les vols denses, serrés, invincibles, des acridiens, dévoreurs du blé en herbe. Contre criquets et sauterelles, la terreur, ils étendront des draps de lits, empesés, solides, sur les jeunes pousses, ils caleront par des pierres, ils pousseront des hurlements ! Ils ne pourront éviter la catastrophe et la récolte sera perdue !

Délaissant l’agriculture, ils décideront de participer, au carrefour des pistes poudreuses du sud, à la construction des routes vers Bordj Bou Arréridj, la nouvelle cité que les colons construisaient à l’aide des pierres de taille, romaines, fournies par une vaste ruine antique. Pour les ouvriers ils tiendront une cantine-buvette.

Seuls, les Européens… Pas d’autochtones, pas de Kabyles, pas d’Arabes pour la construction de ces routes. Seuls, les Européens s’acharnent, dans la tradition des légions romaines.

On trouve là des Alsaciens, arrivés bien avant 1870, qui, souvent, sont pris pour des Allemands car ils parlent le dialecte du Haut-Rhin . Ils côtoient des Italiens, des Espagnols, des Maltais surtout. Tous ces travailleurs parlent un jargon européen, un « sabir » mis au point entre eux, jour après jour! Ainsi , après une journée de travail épuisante ils diront :- « au schlof, au schlof » ! ! ! ce qui signifiait :-« aller dormir » !

Dans un labeur acharné une bonne dizaine d’années s’écoule. L’équipe travaille dans lieu sinistre, les « Portes de Fer ». La chaleur atteint des sommets. Le soleil est si ardent que l’on peut faire cuire des œufs sur le plat en plein air sous ses rayons !

Travaillant auprès de leurs parents les deux jeunes filles GOENNER, Anne Marie l’aînée et Marie Anne la cadette rencontreront respectivement Joseph DENIS, Français de l’Ardèche, Entrepreneur de Travaux Publics, homme aisé et généreux , et Vincent BENNABANT, briquetier, Espagnol, dynamique, entreprenant, mais souffrant déjà du paludisme qui devait l’emporter. Ils se marieront et partiront, les uns, vers le malheur et la mort, vers Philippeville, l 'antique Rusicade, ville redoutée pour son "mauvais air" qui donnait la malaria, les autres vers le succès, la réussite, vers Bordj Bou Arréridj, la nouvelle cité pleine de promesses.

Fortuné GOENNER obtiendra un poste aux nouveaux « Chemins de Fer Algériens » et recevra en récompense de ses services la « montre aux phases de la lune » qui s’est transmise de l’un à l’autre dans la famille depuis cette époque.


A Philippeville
Epidémie de choléra
A Philippeville une épidémie de choléra devait emporter Bernard et Marie Magdeleine GOENNER , à deux jours de distance, les 28 et 30 novembre 1866, à l’âge de 60 et 62 ans.

PALUDISME
De son côté Vincent BENNABENT , L ' Espagnol, s 'effondra , à 44 ans vaincu par le paludisme, malgré les doses massives de quinine qu 'il absorbait par cuillerées depuis des années. Sa veuve, Marie Anne GOENNER, invitée par Anne Marie sa sœur et Joseph DENIS, son beau frère à les rejoindre à Bordj Bou Arréridj fit le bon choix en acceptant!
De nouveau le Sundgau!
A la mort de Joseph DENIS , fortune faite, sa veuve inconsolable , Anne Marie tint , pour se réconforter, à faire un pèlerinage à Bettendorf, Ruederbach , Altkirch et Bâle où elle se fit photographier.