"Dites moi s'il vous plaît, dites moi,
Alger Deuxième guerre mondiale. 1941-42 Les Algérois ne reçoivent plus rien de la Métropole. Ils
sont pratiquement coupés des campagnes. De l'armistice de juin 1940 au
débarquement allié de novembre 42 les Algérois, dans leur
très grande majorité auront faim. J'ai pleuré de faim. Là pouvaient se rencontrer Albert Camus, Emmanuel Roblès , André Gide, Jean Amrouche, Jean Bosco, l'auteur de "Le Mas Théotime " "Malicroix," et bien d'autres écrivains et artistes encore. Leur nombre augmentera lorsque le débarquement allié aura "bloqué" à Alger nombre de voyageurs. Edmond Charlot avait édité Malaparte, et si mes souvenirs sont exacts, un livre d'Arthur Koestler, je ne sais plus lequel… Grisé par un succès inespéré, il pensait, avec beaucoup d'illusions, qu'à la Libération il supplanterait Gallimard, Grasset, et les autres… Le pauvre ("pobretto")! n'y parvint pas!' Et voilà que les Américains, dynamiques et joyeux se présentent . Face aux malheureux "Camps de Jeunesse" français, misérablement fagotés , (les jambes emprisonnées dans des bandes molletières ?) , ils arrivent, dans leur tenue décontractée et leurs inépuisables richesses La crise du logement sévit cruellement aussi. L'afflux de réfugiés venus de partout et le nombre important d'officiers et sous officiers désireux de se loger convenablement aggravent le problème. Vivant chez mes parents, en centre ville, je disposais sur les hauteurs , au lieu dit: "les sept merveilles " d'un studio, que je louais meublé. Un matin des amis, les Marquet peut-être bien, sonnèrent de bonne
heure à la porte. Saint Exupéry! Le petit Prince! Vol de nuit ! Quelqu'un , de la famille, passa près de moi: Les amis de Saint Ex. partis, l 'intervenante temporisatrice m'informa : Ma mère en cet instant rentrait , épuisée , bredouille
, de longues courses improductives. Résignée, je dus enseigner à ma mère , aux anges,
quelques rudiments d'anglais. L'autre riait gentiment, amusé par l'accent de ma mère… Il arrivait
chargé de cartons, de bouteilles, de boîtes magnifiques de chocolats,
de cartouches de cigarettes.Il apportait même certains des premiers films
en couleurs et les présentait chez mes parents, pour la joie conviviale
de la famille et des amis… Et, pour accuser réception , ma mère
savait réciter une leçon par moi enseignée, mais finalement
très "british" pour cet américain; C'était en substance: Vous dirai - je le nom de notre locataire – ravitailleur ? Il s'appelait: Carl Heuer et pensait être d'origine allemande… mais longtemps, bien longtemps plus tard j'ai soupçonné plutôt une ascendance alsacienne!!! Un "cousin" peut-être, du XVIII é ou XIX ème siècle??? Cela nous ramène à la chère généalogie!!! Et Saint Ex? Où était-il passé??? Et parfois je me demande si les restes d'un aviateur, retrouvés au large des côtes varoises et dont on dit qu'elles sont peut-être de Saint Ex. ne seraient pas de Billecard qui, lui aussi, portait une gourmette offerte par une amie… Quant à Carl , devenu l'ami de la famille, nous n'avons jamais reçu de ses nouvelles! Je crains fort qu'il se soit trouvé face aux panzers lors de la bataille des Ardennes et qu'il ait , là, perdu sa vie insouciante… C'était la Guerre!!! Ainsi dans la Grande Histoire s'inscrivent de menus faits, des anecdotes qui font le quotidien. Et parfois je me demande aussi , comme le faisait M. Lenôtre, si les "petits papiers", les "petites histoires" ne sont pas chargés de la plus grande vérité… Longtemps, longtemps, longtemps, j'ai ressenti le remords de n'avoir pas loué à Saint Ex… Mais, comme dit le cynique: -"Mieux valent des remords que des regrets"!!!
Denise VB |